Genre : roman
Editions JC Lattès
Date de publication : 2010

Intrigue : Un homme à moitié Malien et à moitié Antillais, Babakar Traoré, cherche un lieu où exercer son métier d'obstétricien, loin des éternelles guerres civiles qui déchirent l'Afrique. Se réfugiant en Guadeloupe, sa route croise deux autres hommes que la solitude et le malheur rapprochent de lui, mais aussi une petite fille dont la mère haïtienne meurt pendant l'accouchement. Partant à la découverte de l'histoire de la famille de sa fille nouvellement adoptée, Babakar emmène ses deux compères dans une Haïti démolie par les cyclones et les coups d'état répétés.

Dans une atmosphère par moment surnaturelle, où fantômes et vivants marchent main dans la main, Maryse Condé nous fait découvrir le monde fascinant des Antilles avec sa misère, mais aussi avec sa richesse ethnique. Son écriture est tout à la fois poétique, émouvante et drôle, notamment grâce à la savante instillation de quelques expressions créoles ici et là. Un grand roman, noir et engagé, sur toutes les victimes de l'ambition démesurée des puissants.

Morceaux choisis : "Des nègres aux yeux bleus ? Cela mérite explication. Il nous faut pour cela remonter encore en arrière. C'est bien connu : c'est le passé qui nourrit et éclaire le présent !
Le premier ancêtre de Thécla qui eut les yeux bleus s'appelait Wangara. ... C'était le fils de Macalou et de sa troisième femme, Fatoma. Bien qu'ultérieurement baptisé Joseph dans la servitude, Wangara garda toujours son nom africain. Il avait été capturé sur la côte des Esclaves, à un endroit nommé Sosonabu, fertile pour les razzias. ... On s'apprêtait à le marier et le Conseil des Sages discutait de la dot de la promise. Ils n'eurent pas le temps de s'accorder sur ce point puisqu'une nuit, les négriers européens et leurs aides africains portèrent le feu et la destruction à Sosonabu. Jugés trop vieux pour supporter les épreuves du Passage du Milieu - les Anglais disent Middle Passage, les noms varient, mais c'est la traversée qui va du bonheur de l'Afrique à l'enfer des Caraïbes - Macalou et Fatoma eurent la gorge proprement tranchée. Témoin de la scène, Wangara pleura, pleura, pleura. Il pleura tellement que ses prunelles changèrent de couleur comme un linge dont la teinte ne résiste pas aux lessives. Ainsi, de brunes, elles virèrent au bleu."

"Un cyclone, c'est la main encolérée de Dieu qui s'abat sur un pays. Alors, elle arrache une à une les feuilles des pié bwa, casse leurs branches, déracine les plus solides, couche les plus faibles. Elle ne respecte ni pauvres ni riches. Avec égale fureur, elle aplatit les bateaux de plaisance des bourgeois dans les marinas et les cases rapiécées des malheureux dans les Fonds. Elle s'amuse à faire valdinguer les voitures et les scooters qui restent dans les parkings. Quand elle a tout cassé, détruit, alors 'Bon Dieu rit'."