Genre : romance
Editions Gallimard
Date de publication : 1968

Intrigue : un haut diplomate terriblement beau et intelligent tombe amoureux de l'épouse d'un de ses subalternes. Il décide de la séduire d'une manière plutôt inhabituelle : par la franchise...

Bien sûr, ce roman a de nombreuses longueurs, des monologues sans fin, mais rarement un livre a été aussi lucide sur l'amour. L'amour avec un petit "a", c'est l'amour conjugal, celui qui est recherché pour sa durée mais dont on sait les déceptions qu'il entraîne. Dans cet amour-là, le mari cocu est un personnage touchant, émouvant et pourtant il reste un sous-fifre dans son travail et un futur perdant dans son couple. Trop de gentillesse, pas assez de caractère, trop de compromis avec tout le monde. Que ces descriptions de lèche-botte sont précises et justes, combien de personnes connaissons-nous dans notre entourage qui correspondent exactement à ce pauvre Adrien Deume, cet éternel perdant. Et puis il y a l'Amour avec un grand "A", celui que l'on idéalise, celui dont les romans d'amour habituels nous bourrent le crâne, à la Bovary. Et là A. Cohen se surpasse, avec un cynisme qui fait mal et qui pourtant sonne toujours juste. La femme est trop belle pour ne pas prendre un amant et elle tombe donc dans les rets de son haut diplomate, Solal. Dommage pour eux, il est trop intelligent et ne veut pas s'arrêter de réfléchir sur tout : leur relation mais aussi leur entourage. Un beau gâchis qui est poignant de justesse. Bref, un des plus beaux livres sur l'amour qui existe, mais que les âmes sensibles s'abstiennent de le lire.

Morceaux choisis :
"Dans la cuisine, il ouvrit les volets pour faire entrer du courage, prit la bouteille déposée par le laitier sur le rebord, versa le lait dans une casserole, alluma le gaz. Le jour où il lui avait apporté un lait de poule parce qu'elle toussait, elle lui avait dit qu'il était mignon, et il en avait été tout fier. Mignon mais cocu. Tous les cocus étaient mignons. Tous les mignons étaient cocus. A son type elle ne disait sûrement pas qu'il était mignon. Il se pencha à la fenêtre. Deux amoureux endimanchés qui faisaient des saletés avec leurs bouches, puis riaient. Attends un peu, toi, tu seras bientôt cocu. Il se retourna pour ne plus les voir, s'aperçut que le lait avait débordé, éteignit, vida lentement la casserole dans l'évier. Elle avait recousu le bouton de l'imperméable, et puis elle avait filé vers les baisers et le reste. Toute fière d'avoir recousu le bouton du milieu. Mais si demain un autre bouton se détachait, il pourrait toujours courir."

"Peu après retentit l'air de Mozart, et il frissonna. C'était l'appel. Car elle ne lui téléphonait plus, elle mettait un disque, c'était plus poétique. L'appel, oui. Il fallait aller à l'amour. Sa créancière le convoquait, le sommait de lui donner du bonheur. Allons, prouve-moi que j'ai bien fait d'avoir choisi cette vie de solitude avec toi, lui disait-elle par le truchement du Vous qui savez ce qu'est Amour. Vingt-six novembre, aujourd'hui. Trois mois déjà qu'ils avaient quitté Genève, trois mois d'amour chimiquement pur. ... Deux heures. Il faisait un vent aigre dehors. Par conséquent, condamné à la chambre d'amour. Que faire jusqu'à l'heure du dîner ? Quoi inventer ? Les scènes de ces jours derniers avaient mis de l'animation, avaient fait passe-temps, mais elle en avait trop souffert. Il fallait trouver autre chose. Partir pour l'Italie de nouveau ? Pas le courage. D'ailleurs, même à Venise, ce serait eux qu'ils retrouveraient."