Genre : roman
Editions Gallimard
Date de publication : 1930

Intrigue : Solal, un beau jeune homme romanesque, ne peut se retenir d'aimer tout en ne sachant pas comment être heureux.

Ce premier roman d'Albert Cohen sur la série des Solal, série qui culminera par sa "Belle du seigneur", a déjà brossé en détail les personnages principaux de sa saga : Solal, bien sûr, le ténébreux et redoutablement intelligent jeune homme qui ne peut faire autrement que de détruire tout ce qu'il aime, mais aussi les Valeureux de France dont le bienveillant oncle Saltiel, l'adorable Salomon, l'insurpassable filou Mangeclous, etc. Ce roman fait pourtant figure de simple esquisse quand on la compare au chef-d'œuvre qu'est "Belle du seigneur". La poésie du style est déjà là, bien sûr, mais il manque cette profondeur que l'on admire tant dans la description de la psychologie des personnages annexes dans son œuvre finale. La fin du roman semble même un peu bâclée et fait perdre une partie de la cohérence de l'intrigue.

Morceaux choisis : "Mangeclous avait d'innombrables métiers. Il s'était acquis une brillante réputation de médecin et avait mis en vers les propriétés médicinales de la plupart des légumes et des fruits. ("L'oignon accroît le sperme, apaise la colique. - Pour la dent ébranlée est un bon spécifique.") Des végétaux sur lesquels il n'avait pas de lumières spéciales, il disait invariablement : 'Apaise les vents et provoque l'urine.' Il était,de plus, oculiste, savetier, guide, portefaix, pâtissier, gérant d'immeubles, professeur de provençal et de danse, guitariste, interprète, expert, rempailleur, tailleur, vitrier, changeur, témoin d'accidents, fripier, précepteur, spécialiste, peintre, vétérinaire, pressureur universel, médecin de chiens, improvisateur, poseur de ventouses terribles, chantre à la synagogue, péritomiste, perforreur de pain azyme, cartomancien, pilote, failli, intermédiaire après coup, prestidigitateur, mendiant plein de superbe, dentiste, organisateur de sérénades et d'enlèvements amoureux, fifre, fossoyeur, ramasseur de mégots, percepteur de fausses taxes militaires sur de diaphanes et ahuris nonagénaires, détective privé, pamphlétaire, répétiteur de Talmud, tondeur, vidangeur, inscrit à divers fonds de secours, hannetonnier, annonceur de décès, pêcheur à la dynamite, créancier de négociants en faillite, courtier en véritables faux bijoux et en mariages, truqueur de chevaux, destructeur de mites et raconteur stipendié d'histoires joyeuses. Excellent homme d'ailleurs et fort charitable lorsqu'il le pouvait."

"Tuer Rawdon, c'était facile, mais comment amorcer l'affaire ?
- Voici. Moïse n'est-il pas le plus grand des hommes ? Ah, vous ne trouvez pas ? Et quand il va chercher une sépulture dans le désert pour que les sales bonshommes qui étaient avec lui ne le divinisent pas ? Et le meurtre du petit Rawdon égyptien ? Vous m'avez gravement offensé !
Lord Rawson lui conseilla le repos. Solal le poussa vers le pavillon, ouvrit la porte, tendit un pistolet. Rawdon appuya par mégarde. Détonation. Solal, blessé, avoue qu'il aime cette fille et qu'elle le torture. Hier avec Jacques, ce soir avec un Egyptien. Et que fait-il en cette maison de servitude, lui ? Rawdon, que cet aveu imprévu et ce duel absurde et poétique ravissent, rassure Solal : mademoiselle de Maussane n'a cessé de lui parler de Solal charmeur de tigres. Elle semble être amoureuse de lui et n'a cessé de le regarder. Solal, fou de reconnaissance et de joie, baise le jeune homme sur la bouche. Ah oui, le bras saigne. Aucune importance. Demain on arrangera. Ces pistolets sont à Rawdon. Qu'il les garde en souvenir, ce bien-aimé Rawdon."