Genre : roman
Editions Pocket "Nouvelles voix"
Date de publication : 1981

Intrigue : Ngeleka est un jeune homme qui a eu la malchance de naître bossu. A cause de cette difformité, il est la cible toute désignée des quolibets de ses camarades. Quant à son père considéré comme responsable de cette anomalie, il est rapidement accusé de sorcellerie. Ngeleka et l'ensemble des membres de sa famille sont ainsi chassés de leur village au premier décès suspect. Commence alors leur longue errance de village en village, de mésaventure en mésaventure.

Le nœud de l'intrigue est une réflexion autour de la notion de sorcellerie, de sa réalité et des formes qu'elle endosse en Afrique rurale. L'auteur illustre par plusieurs récits tragiques à quel point la sorcellerie est un concept fourre-tout qui permet d'expliquer, dans le monde traditionnel africain, toutes les anomalies et les événements malheureux constatés, comme l'avait bien observé l'anthropologue britannique E. E. Evans-Pritchard. A côté de cela, l'auteur décrit également la violence et la corruption qui règnent dans les villes, et auxquelles le jeune villageois Ngeleka se confronte. Bien que le roman prenne un caractère un peu trop pédagogique, ce qui provoque des lourdeurs dans le récit, cette réflexion sur les sociétés contemporaines africaines est intelligente et pleine de sagesse. Elle ne prône pas le mépris envers les vieilles croyances, mais cherche à concilier tradition et "rationalité" contemporaine.

Morceaux choisis : "Un jour, suite à une petite maladie, l'infirmière lui donna un vermifuge. Elle vomit ce qu'elle avait mangé et aussi un ascaris. Toutes les filles s'exclamèrent : "Elle a vomi, elle a vomi sa sorcellerie." Kayiba fut saisie d'une joie sans limite ; elle courut partout au couvent annoncer aux pères et aux sœurs qu'elle n'était plus sorcière. A partir de ce moment, plus rien ne se produisit au dortoir : Kayiba avait vomi, elle n'était plus sorcière ! Encore plus intrigué, je posai, un jour, une question précise à mon père :
- Que penses-tu de Kayiba, papa ?
- C'est une fille comme les autres.
- Mais on la traite de sorcière !
- Ce n'est que normal : cette fille est orpheline, elle est un poids pour ceux qui la supportent. C'est pour cela qu'on la maltraite, peut-être avec l'espoir de la voir mourir un jour. Tous les malheurs qui s'abattent sur la famille, on les lui attribue afin de l'accabler.
- Mais, comment se fait-il qu'elle accepte les accusations ?
- Depuis son jeune âge, on n'a cessé de lui répéter qu'elle était sorcière, elle a vu ses yeux rouges et son ventre gonflé... Comment veux-tu qu'elle ne se reconnaisse pas sorcière ?"

"- Père, es-tu sorcier ? finis-je par interroger.
Le temps qu'il mit avant de parler me fit d'abord regretter d'avoir posé la question. Puis il me réconforta avec un sourire et se mit à me répondre :
- Cela dépend de ce que tu entends par 'sorcier', fils. Si pour toi 'sorcier' signifie un homme sur qui la famille compte, un homme qui est en bons termes avec les gens pendant les moments de joie et contre qui on s'acharne pendant les moments de détresse, oui fils, je suis sorcier. Mais si tu entends par 'sorcier' un homme puissant et mauvais, capable de maîtriser les forces naturelles afin de les utiliser pour causer des ennuis aux autres, non, mon fils, JE NE SUIS PAS UN SORCIER."